Édito d’Anne

Les vagues, au rythme d'une marche

Anne Thériault © Alex Tran

« Depuis plusieurs temps, je n’ai jamais autant ressenti cette impression d’être dépassée… par ce qui m’entoure, jour après jour. Tout autour de moi semble posséder une cadence si rapide que cela finit par me désorganiser. Weird feeling pour une supposée spécialiste du mouvement. La rapidité et les changements de rythmicité vifs furent ma tasse de thé jadis. Il fut un temps où j’avais le sentiment de surfer adéquatement à cette vitesse. Et j’oserais même avouer que j’ai réellement cru un jour que je surferais outre la vague, plus vite, plus efficace, plus performante, plus « toute ». Je ris beaucoup quand j’y repense. M’imaginer que je pouvais en quelque sorte défier le temps. Pour en arriver où? Aucune idée. Peut-être était-ce l’idée même de la sur-performance qui me séduisait (et je m’esclaffe à nouveau!). Le vertige suivant cette vague incommensurable, surtout en période de rush, désormais me subjugue et m’immobilise pour longtemps ensuite. Je trouve frustrant, gossant, tannant (+ tout autre adjectif de la même famille se terminant en -ant) de boucler une journée bien remplie et d’éprouver encore cette sensation que ce n’est pas assez. Cela m’assèche le corps, le cœur et l’esprit. Négocier avec ce quotidien, qui semble être vécu par beaucoup, n’est vraiment pas un jeu aisé. Cela dit, j’aime jouer.

Marcher m’aide. Simplement. Mouvement que j’ai souvent pris pour acquis, en oubliant tout son potentiel. Une action répétitive, rythmique mettant non seulement le corps en douce mouvance, mais activant aussi les sens. Au quotidien, la marche prend dorénavant beaucoup de mon temps. Marcher pour me rendre d’un point A aux points de tout l’alphabet. Je prends ce temps qui prend du temps. Mon corps s’adoucit. Ma tête vagabonde. Quand je marche, j’écoute dans le dedans comme tout autour. Des coordinations de réflexions émergent. Je rêve. Parfois même, je flotte. J’éprouve le temps qui passe et je me sens en syntonie. Il m’arrive de ressentir ce choix de marcher comme un luxe ; étrange non? Une chose si simple mais en même temps si complexe à faire subsister dans un quotidien qui semble souvent tendre à m’avaler dans une rythmicité éclair.

Le redoux s’annonce. Une chouette période pour porter son attention au rejaillissement de la verdure et mettre ses mains en terre, pour ensuite simplement et lentement témoigner de son évolution. Ce genre de vague qui me donne envie de surfer bien autrement ! »

Édito d’Anne Thériault, extrait de l’infolettre de lorganisme, avril 2023